La surpopulation : une question toujours d'actualité
- dr.barthes
- 29 oct.
- 6 min de lecture

Source de l'image: Wikimedia Commons
Devant l’évolution de nos effectifs - multipliés par 5 depuis le début du 20e siècle -, de nombreux penseurs, scientifiques ou écologistes ont tiré la sonnette d’alarme. Inquiets pour les ressources et pour l’avenir des équilibres écologiques sur une planète de surface finie, ils l’ont été aussi pour la qualité de vie réservée à nos enfants.
Il en fut ainsi en France de Claude Lévi-Strauss, du commandant Cousteau, de René Dumont ou, à l’étranger, de James Lovelock (théorie Gaïa), de Paul Ehrlich (La bombe P, en 1968) ou de Dennis et Donella Meadows via le rapport du Club de Rome (Les limites à la croissance, en 1972). Au temps de ces premières alertes, le monde hébergeait entre 2,5 (en 1950) et 4 milliards d’habitants (en 1975). Le taux de croissance démographique atteignait des records (un peu plus de 2 % par an entre 1960 et 1970) et la fécondité était très élevée : 5 enfants par femme en 1960 ! Si ce taux de croissance a peu à peu diminué, la population a continué d’augmenter, portée par une jeunesse nombreuse, en âge d’avoir à son tour des enfants. Nous atteignîmes ainsi 5 milliards en 1986, 6 milliards en 1999, 7 milliards en 2011 et plus de 8 aujourd’hui.
Curieusement, cette évolution n’a pas conduit à une plus large médiatisation des inquiétudes. Au contraire, à partir de la décennie 1990 qui connut pourtant la plus forte croissance en nombre, - plus de 90 millions de personnes supplémentaires chaque année -, le sujet a largement disparu des débats, notamment dans les sphères écologistes. La baisse du taux de croissance et la baisse de la fécondité (un peu plus de 3 enfants par femme en moyenne au cours de ces années) expliquent en partie cet infléchissement des discours. Mais la politisation des débats a également tenu son rôle. L’essentiel de la progression démographique étant désormais concentré dans les pays les plus pauvres, toute mise en cause du niveau et de la croissance de leurs populations était perçue comme une marque de colonialisme, une façon pour l’Occident d’imposer sa loi et donc, devait être tue.
Depuis deux ou trois ans le phénomène s’est accéléré. Non seulement on ne parle presque plus de surpopulation, mais les médias dans leur ensemble et les représentants politiques, toutes tendances confondues, s’inquiètent à l’inverse, d’un risque de dépopulation. Il est vrai que la baisse de la fécondité s’est poursuivie. De nombreux pays, dont la France, – toujours en croissance toutefois – se trouvent désormais sous le seuil de renouvellement des générations (seuil situé à 2 enfants par femme quand la mortalité infantile est négligeable), et le monde dans son ensemble prolonge son mouvement vers une fécondité plus basse (2,2 enfants par femme en 2025 au niveau planétaire). En Occident ce ralentissement des naissances est perçu comme une menace sur la croissance économique et sur le financement des systèmes de retraite d’où des appels de plus en plus fréquents à la relance de la natalité (le fameux « réarmement démographique ») dans les pays européens, mais aussi en Chine et d’en d’autres pays d’Asie ou d’Amérique du Sud.
Et pourtant !
Et pourtant, si la baisse de la fécondité est incontestable, nombreuses sont encore les raisons qui doivent nous faire craindre la surpopulation bien plus que le risque de dépopulation.
– La Terre n’a jamais été aussi peuplée. Durant l’essentiel de son histoire l’humanité s’est trouvée infiniment moins nombreuse : nous étions 1 000 fois moins au début du néolithique, il y a une dizaine de milliers d’années, et encore 40 fois moins nombreux à l’époque de Jésus-Christ. C’est dans ces conditions que notre espèce a duré. Un nombre plus important n’est pas une garantie de résilience, surtout si nous consommons toutes les ressources qui se trouveront ainsi indisponibles pour demain.
– Nous allons encore gagner 2 milliards de représentants pour atteindre un peu plus de 10 milliards à la fin du siècle. 2 milliards de personnes supplémentaires qu’il faudra nourrir, loger transporter… faire vivre, là aussi dans un monde aux ressources décroissantes et aux terres toujours plus malmenées par l’agriculture intensive et grignotées par l’artificialisation, deux mécanismes d’ailleurs conséquences obligées de l’explosion de nos effectifs.
– Imaginer financer les régimes de retraites par une relance de la natalité, c’est entrer dans un véritable cercle vicieux. Si le système ne tient que parce que chaque génération est plus nombreuse que la précédente, nous construisons simplement une pyramide de Ponzi démographique. Cela se termine toujours mal. Rappelons que si nous connaissons aujourd’hui des problèmes de financement des retraites, c’est notamment du fait des effectifs importants d’une population âgée née en nombre … 80 ans plus tôt. Le temps s’écoule, nous n’y changerons rien et les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain. Ajoutons pour ceux qui viseraient le seul court terme qu’aujourd’hui, durant les 20 ou 25 premières années de leur vie les jeunes constituent une charge (sécurité sociale et dépenses d’éducation) et non une source de revenus pour les comptes sociaux.
– La croissance démographique globale s’accompagne de déséquilibres très importants. Dans l’ensemble, les pays du Sud croissent beaucoup plus vite que les pays du Nord, favorisant les mouvements migratoires et leurs cascades de problèmes sociaux, politiques et économiques que cela suppose, les souffrances liées à l’arrachement à ses origines et les rejets mutuels des peuples et des cultures forcés à la cohabitation.
– La biodiversité s’effondre. Aujourd’hui les vertébrés terrestres sauvages ne représentent plus que 1 à 2 % de la masse des hommes et de leurs animaux d’élevage. Nous sommes dans la 6ème extinction, le terme n’est pas galvaudé, c’est, et de loin, le plus grave problème écologique. Il faudra à la nature des centaines de milliers ou des millions d’années pour recréer des espèces équivalentes à celles que nous avons fait disparaître à jamais. C’est une menace terrible pour l’équilibre des écosystèmes, mais c’est aussi une tache morale sur l’humanité.
– Cet écroulement a pour cause notre installation sur tous les territoires habitables dont nous chassons toute la faune et toute la flore à notre profit, et cette installation est elle-même la conséquence de notre expansion démographique. Cela concerne les terres, mais aussi les mers que nous vidons parce que nous devons nourrir de plus en plus d’humains. Certains souhaitent contrer le phénomène en densifiant l’habitat, mais cela ne réglera pas les problèmes alimentaires et surtout, voulons-nous tous vivre dans des mégalopoles ou, pour reprendre un terme de science-fiction, dans des monades urbaines ? Ne mesurons nous pas les effets délétères de cet habitat concentré et hyper dépendant de lourdes technologies sur la qualité de vie, sur la sécurité ? La concentration est-elle une solution ? Le souhait d’avoir une maison, un jardin, est-il un souhait criminel ?
Cette question du nombre est encore plus grave que celle (par ailleurs bien réelle) du réchauffement climatique qui, pour l’instant, n’a pas encore conduit à des extinctions de masse. Ajoutons que notre nombre est aussi l’une des causes de ce réchauffement, plus nous sommes, plus nous émettons de gaz à effet de serre.
– Le mode de vie hyper consommateur d’une fraction de l’humanité (disons l’Occident et mais aussi désormais d’une partie de la Chine et d’autres pays émergents) est souvent présenté comme la cause presque unique de la dégradation de l’environnement. C’est incontestable notre consommation pollue, mais, pauvres ou riches, les hommes utilisent de l’espace et excluent de facto toute la grande faune de leurs agglomérations.
Nous devons surtout prendre conscience que si les plus pauvres polluent moins – ce qui est tout aussi incontestable – c’est justement parce qu’ils sont pauvres. Aussi, tous ceux qui, au nom de l’écologie se donnent bonne conscience en ne dénonçant que le mode de vie des plus riches (dont ils font souvent partie) et en se faisant ainsi, en apparence, les défenseurs des plus pauvres ne font en réalité que défendre la pauvreté. Est-ce le souhait des plus pauvres de le rester ? Est-ce notre droit de le leur imposer ? Non ! La solution pour permettre à la fois un accès à un meilleur niveau de vie à la majorité la plus démunie de l’humanité vient justement d’une régulation de nos effectifs. Nous ne pourrons, pour des raisons de ressources et d’écologie, être à la fois riches (ou simplement moins pauvres) et nombreux.
Le temps est donc venu pour concilier humanisme et protection de la nature de réintroduire la question de nos effectifs au cœur de tous les débats environnementaux et de favoriser presque partout une baisse de la fécondité. Des moyens existent : l’accès à l’éducation, l’accès à la contraception, la mise en place de systèmes de retraites.
Le tabou persistant sur le sujet démographique nous a conduits à un monde en voie d’être invivable, ce tabou doit être brisé.
Didier Barthès





Commentaires