Le récit de la Genèse met en scène le repos de Dieu le septième jour, achevant ainsi le processus de Création par un acte de contemplation tranquille. Ce geste d’apparence anecdotique, respecté par toutes les religions du Livre, est la clé de sortie de la crise écologique. Je l’ai compris voici un demi-siècle lorsqu’on me demanda de faire l’exégèse du rapport du Club de Rome devant un parterre de chefs d’entreprise. Une croissance illimitée est impossible dans un monde limité. Aucun des participants ne contesta cette évidence. Mais je retins de cette rencontre l’angoisse existentielle des participants : leur enlever la croissance revenait à leur enlever le sens de leur existence. Tous les individus, quel que soit leur statut social, ont besoin d’avoir un but qui structure leur vie. Les entreprises, quelle que soit leur taille, rêvent de croissance externe en se démultipliant : pourquoi donc le pâtissier, le vendeur de rhum et l’épicier bio de mon secteur ont-ils créé des commerces satellites ? Pourquoi les habitants de mon village, propriétaires de leur maison, déposent-ils régulièrement des projets d’agrandissement (garage, terrasse, piscine…) ? Pourquoi un maire s’agite-t-il pour faire croître la population de son village ? La croissance, synonyme d’aller de l’avant, de progresser, de quitter le passé pour faire naître le futur, est le fruit d’un sentiment consubstantiel de l’essence humaine. Construire suppose souvent de déconstruire un bout de la fine pellicule qui recouvre la Terre et qui forme la vie. Ce réflexe a permis à l’Humanité d’évoluer, lentement, et d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Pendant des millénaires, la très grande majorité des individus étaient attachés à assurer leur survie, notamment en cultivant la terre. Ils y dépensaient toute leur énergie et cela suffisait à donner un sens à leur existence. Le petit nombre de privilégiés libérés de ces efforts se dépensait à la chasse et à la guerre, ce qui explique notamment les velléités expansionnistes de tous les empires dirigés par des autocrates qui s’ennuient dans leur palais. Progressivement, à partir de la fin du XVIIIe siècle, le nombre de personnes libérées de l’angoisse du lendemain et du labeur de la terre augmenta… alimentant ainsi l’agitation constructiviste de la fourmilière humaine. L’artificialisation des sols donne une mesure de ce phénomène. De ce point de vue, la loi « zéro artificialisation nette » de 2023 est une ambition inédite et surprenante. Peut-on contrarier par une loi un réflexe inscrit dans les gènes ? J’applaudis la démarche, mais je doute de sa faisabilité quand elle prétend s’opposer aux effets sans s’attaquer au moteur du phénomène. La fin de la croissance de l’artificialisation est, il est vrai, fixée à 2050 : tant d’eau va encore couler sous les ponts. A peine votée, la loi du 22 août 2021 a suscité des protestations chez une partie des élus locaux, de sorte que le Sénat s’est attaché à en amoindrir la portée par une nouvelle loi (20 juillet 2023). Si chaque humain consacrait le septième de son existence à contempler ce qui l’entoure, la crise écologique rapetisserait d’autant…. et sans doute davantage. Car, la beauté du monde inspire le respect et oblige à adapter ses comportements. Mais, nous n’en prenons pas le chemin. Le repos du dimanche est remis en cause dans de nombreux secteurs de l’activité. Le portable détourne le regard et l’enferme dans le virtuel : une génération ne sait plus voir le réel qui l’entoure, sa nature, ses formes et ses couleurs.
L’exotique lointain alimente les fantasmes de beaucoup de nos concitoyens : l’avion leur permet un saut de quelques milliers de kilomètres alors que la plupart n’a jamais exploré le territoire proche.
Pouvons-nous dépasser cet atavisme humain à faire, construire, croître ? Quel sens trouver dans la non croissance ? Tous les arguments d’essence économique ou politique ne sont que des prétextes, au mieux des facteurs secondaires. L’évolution à envisager est culturelle, spirituelle peut-être. Le combat écologiste est aussi de cette nature.
Antoine Waechter 15 avril 2024
Très beau texte.