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Entretien d'Antoine Waechter avec Dominique Bourg

Dernière mise à jour : 9 déc. 2021


Entretien accordé à la revue : La pensée écologique.


Cet entretien retrace, du point de vue d’Antoine Waechter et de sa sensibilité quant à l’originalité de la pensée écologique, l’histoire de l’écologie politique en France et celle de la naissance des premières organisations partisanes dédiées. L’entretien évoque en premier lieu son enfance, celle partagée avec nombre de pionniers d’une grande proximité perdue au milieu, et se termine avec un passage en revue des différents présidents de la République, à compter de Pompidou ; et ainsi une manière de bilan des politiques publiques environnementales. Il montre incidemment le temps long requis pour l’influence d’une culture écologique présente depuis longtemps sur une culture politique au référentiel originellement étranger à l’écologie. L’aventure est loin d’être terminée même si le temps, pour le moins, presse.

Dominique Bourg

Dominique Bourg: Peux-tu raconter ta biographie, les étapes déterminantes de ton parcours ?


Antoine Waechter : Par quoi commencer ? Je suis né en 1949, c’est-à-dire quatre années après la fin de la guerre. Mon histoire a été déterminée, comme c’est le cas pour chacun de nous, par des facteurs externes. Ainsi, l’un des évènements importants fut le bombardement de la gare de Mulhouse en 1944 par les Alliés. Leurs tirs ont été tellement peu précis qu’ils ont démoli un large quartier, et notamment la maison de mes parents, située à proximité du centre urbain. La famille s’est alors réfugiée dans la maison de campagne de ma grand-mère, à Rixheim. Rixheim était alors un gros bourg agricole adossé à des collines couvertes de près, d’arbres fruitiers, de vestiges de vignobles et de petits bois. La maison, elle, se situait dans un espace clos par un haut mur de pierres : elle était bordée d’une prairie fleurie avec de grands arbres fruitiers, d’un vaste potager, d’une basse-cour, d’une mare à canard, et d’une grange pleine de foin parfumé. A l’âge de 4 ans, j’allais tout seul à l’école maternelle. Je retrouvais les autres enfants du quartier pour jouer au ballon dans la rue : les voitures étaient rares. Nous n’étions gênés que par le passage des carrioles tirées par les chevaux de trait. C’était un monde tellement différent.


D.B. : Cela me fait penser à une réflexion de Jouvenel sur l’exclusion des enfants de la rue par la circulation automobile, et tu as connu ça.


A.W. : J’ai connu cela. Un jour, le pneu d’un camion ayant explosé, l’institutrice nous fit sortir pour voir le remplacement de la roue par le camionneur : c’était un spectacle. A l’automne 1955, la maison de mes parents était reconstruite grâce aux dommages de guerre : c’était, pour moi, la plongée dans l’univers de la ville, mais nous retournions à Rixheim dès que cela était possible, pendant les congés scolaires d’été et d’hiver, voire les fins de semaine. J’ai connu le paradis : au printemps, il suffisait de s’asseoir dans l’herbe des collines et d’observer : une harde de 18 ou 20 chevreuils, des bouquinâtes de lièvres réunissant jusqu’à une dizaine d’animaux, l’hermine qui se dresse pour voir au-dessus des herbes… Au mois de mai, à la tombée de la nuit, je venais voir les renardeaux et les jeunes blaireaux au terrier, pendant que le hibou petit-duc remplissait le soir de son chant fluté.


D.B. : Tu fais partie de cette génération de gens qui, comme Charbonneau, ont vécu exactement la même chose, c’est-à-dire un moment de bascule, le passage d’une nature encore très présente à un paysage artificialisé, dénué de vie sauvage. Et des gens ont connu aussi une autre forme de destruction avec le remembrement et la disparition des haies notamment. Pour toi, que s’est-il passé ensuite ?


A.W. : A l’occasion de ma communion solennelle, à l’âge de 14 ans, ma marraine m’a offert un appareil photo et mon père une paire de jumelles. J’étais décidé à photographier ce que je voyais dans les collines, et notamment à suivre l’évolution des jeunes dans les nids d’oiseaux. Si la nichée de faucons crécerelles dans le grand poirier est arrivée à maturité, par contre les jeunes hiboux moyens-ducs ont été abattus par le garde-chasse et les pies ont été dénichées par les jeunes du village qui voulaient les apprivoiser.


D.B. : Même remarque, tes souvenirs attestent d’une proximité générale à la nature, à commencer pour les enfants, même si leurs agissements n’étaient pas toujours amicaux. Il n’y a plus d’enfants qui font ça aujourd’hui.


A.W. : J’ai décidé de réagir en créant un groupe pour sensibiliser les jeunes du village. Au même moment, un journaliste sensible à la nature, Léon Paul Luttenbacher (qui signait L.P. Lutten), publia un article sur une initiative d’un autre jeune alsacien, Jean-Paul Steiger, qui avait créé, à Paris, le Club des Jeunes Amis des Animaux, dont les parrains étaient Brigitte Bardot et Michel Simon. A 16 ans, je créais les Jeunes Amis des Animaux et de la Nature de Mulhouse : nous fumes 43 jeunes de 10 à 16 ans dès la fin de la première année, grâce au soutien du journaliste. A 17 ans, je rencontrais Alain Bougrain Dubourg, les frères Terrasse, Michel Simon… lors d’une assemblée générale à Paris. Lorsqu’un projet de rocade autoroutière menaça les collines de mon enfance, nous avons monté un dossier, organisé une collecte de signatures, et j’ai fait le tour des associations significatives de Mulhouse (Club Vosgien, Club Alpin, Amis du Tannenwald, LPO) pour plaider le dossier et solliciter des motions d’opposition au projet. Nous avons obtenu l’abandon du projet.


D.B. : Bravo.


A.W. : Cette menace écartée, une seconde se présentait : l’urbanisation gravissait les collines. Grâce à un service d’urbanisme sensibilisé à la question, nous avons obtenu la protection des collines au travers d’un plan d’occupation des sols intercommunal sur 1100 hectares. Cela n’a pas sauvé durablement le site, car cette protection au titre du code de l’urbanisme n’a pas évité la coupe des arbres, la disparition des vignes et l’envahissement par le maïs (degré zéro de la biodiversité). Sensibilisé à la disparition du castor par le père jésuite Bernard Richard, chercheur au CNRS, nous avons monté un dossier de réintroduction de l’espèce dans la vallée de la Doller et nous sommes allés piéger des castors sur le Rhône. Nous avons mené une deuxième expédition de piégeage en 1973. Les animaux lâchés ont colonisé l’ensemble du réseau hydrographique du Sud du Haut-Rhin. Bernard Richard n’est plus de ce monde, mais j’ai gardé le contact avec sa femme, installée dans le département de l’Ariège où le chercheur avait son « laboratoire » de plein air.


D.B. : Sa femme ? Il s’est finalement marié ?


A.W. : Oui et il a eu plusieurs enfants. En 1970, Michel Fernex, qui avait remarqué ce jeune entreprenant lors de mon passage à l’assemblée générale de la LPO, me demanda de prendre la présidence de la fédération des associations de protection de la nature du Haut-Rhin (créée en 1965), dont la présidence devenait vacante. J’ai hésité, car cela signifiait de passer du monde des jeunes à celui des adultes. J’ai fini par accepter. Solange Fernex assura la présidence le temps que j’atteigne ma 23e année, alors requise pour ce type de responsabilité. Nous étions débordés, car les projets destructeurs se multipliaient, en plaine, dans la montagne, sur les bords du fleuve. Je participais alors à un groupe informel, nommé Diogène, qui réunissait les responsables des fédérations de Bourgogne, de Franche-Comté, de Rhône-Alpes… et des responsables d’Ile de France. L’idée, naïve, était de proposer au gouvernement une autre politique industrielle, agricole, énergétique, environnementale. Nous ne reçûmes, en guise de réponse, que d’aimables accusés de réception à nos courriers. Fin 1972, je proposais à mes collègues d’agir au niveau qui est le plus sensible pour un élu, le bulletin de vote. Aucun ne valida cette proposition.

Je prolongeai l’idée en Alsace, et c’est ainsi qu’au tout début de l’année 1973, avec Solange Fernex et quelques autres, nous avons créé Écologie et Survie, le premier parti écologiste d’Europe.


D.B. : C’est intéressant comme terme, « survie », car la revue de Grothendieck s’appelait Survivre, mais il n’y avait pas de connexion avec elle. On peut dire qu’on était dans l’air du temps.


A.W. : Je ne pouvais pas être candidat, car je n’avais pas l’âge requis. Henri Jenn accepta de jouer ce rôle, Solange Fernex fit la suppléante, et je fus le directeur de campagne. La campagne débuta par une conférence de Teddy Goldsmith, qui vint présenter son Plan pour la survie dans la grande salle de Société industrielle de Mulhouse.


D.B. : Oui, Blueprint for Survival


A.W. : Teddy Goldsmith, excellent conférencier à l’humour typiquement britisch, fit salle comble. Revenu chez lui, il crée le Green Party (mars 1973). En mai de la même année, les Suisses créent le Parti écologiste genevois.


D.B. : Tout à fait. Et i y aura un élu, ce sera le maire de Lausanne, Daniel Brélaz, premier élu écologiste à la tête d’une ville.


A.W. : Ces trois premiers partis écologistes ont en commun de n’avoir aucune référence à la partition Droite/Gauche.


D.B. : Indépendance et fondement naturaliste.


A.W. : Le tracteur et le bulldozer qui bouleversaient la France étaient conduits par les socialistes et les libéraux. Il n’y avait aucune alternative politique.


D.B. : Excuse-moi, mais c’est plus qu’une alternative politique que vous portiez, c’était une alternative de civilisation, une volonté de tourner le dos au productivisme commun à la Droite et à la Gauche.


A.W. : Oui. Écologie et Survie s’était créé sur quatre fondements, inscrits dans la charte qui servit de statut : naturaliste, féministe, personnaliste, pacifiste. La référence naturaliste était Robert Hainard.


D.B. : Ah, Robert Hainard, l’artiste animalier et penseur de Genève. N’oublie pas, la revue est franco-suisse ! Nous lui avons consacré ici un article.


A.W. : Robert Hainard, peintre naturaliste suisse, était surtout connu dans les milieux naturalistes pour son ouvrage sur les Mammifères, mais c’était aussi un philosophe.


D.B. : Oui c’est un penseur et un peintre animalier, un observateur aigu de la nature comme des mouvements d’idées enfin, c’était un personnage très intéressant !


A.W. : Il a été rejeté par une certaine intelligentsia parisienne.


D.B. : Oui, je me souviens d’un article au vitriol sur lui dans la revue Esprit.


A.W. : Une certaine gauche a essayé de me faire passer pour un extrémiste de droite parce que je faisais une conférence sur Robert Hainard à Paris (1999).


D.B. : C’est le fait d’un humanisme étroit, anthropocentrique et aveugle au point d’être incapable du moindre recul quant à l’humanité en tant qu’espèce, fort peu recommandable pour les autres espèces… et pour elle-même.


A. W. : La dimension féministe était portée par Solange Fernex.


D.B. : Excuse-moi, je t’interromps pour insister sur ce point de l’écoféminisme. Est-ce que tu te souviens à l’époque des références de Solange Fernex ? A cette époque, c’est François d’Eaubonne qui introduit l’expression d’écoféminisme (Le Féminisme ou la Mort, 1974), ce qu’on a oublié, un terme qui fait désormais florès.


A.W. : Non, je ne sais pas. Solange voyageait beaucoup, elle avait de nombreux contacts y compris avec les États-Unis. Le troisième fondement était personnaliste, avec Jacques Ellul comme référence.


D.B. : Une forme de personnalisme. Avec Ellul, grand penseur, nous sommes aussi du côté des racines protestantes.


A.W. : Le quatrième fondement était l’action pour la paix, avec le refus de la Bombe comme arrière- plan.


D.B. : Là c’est Barry Commoner, le premier à avoir, avec d’autres scientifiques, réussi à faire interdire les essais nucléaires.


A.W. : Ces quatre piliers ont dicté notre communication pendant quelques années.


D.B. : Redisons-les : pilier naturaliste, pilier écoféministe, pilier personnaliste (Ellul), et pilier anti-nucléaire, pacifiste de manière générale.


A.W. : Ce pacifisme, c’est le refus de la Bombe, de la course aux armements et surtout l’idée que la paix ne se gagne pas en investissant dans l’armée, la paix se gagne en faisant disparaître les causes de conflit.


D.B. : Ce n’est pas un pacifisme bêlant, c’est un pacifisme réflexif, j’imagine non sans liens avec Anders.


A.W. : Le premier candidat d’Écologie et survie réunit 3,2 % des suffrages, plus que le candidat du PSU de Michel Rocard. Ce succès inspira Jean Carlier, alors directeur de l’information de RTL, qui avait participé aux réunions de Diogène : il suggéra de présenter un candidat à l’élection présidentielle après la mort de George Pompidou. Il n’a jamais cessé de répéter que les deux élections favorables aux écologistes étaient la présidentielle et les européennes.


D.B. : Il ne s’est pas trompé, même si depuis lors les municipales ont changé la donne avec le verdissement de grandes villes.


A.W. : Je n’étais pas à Paris : je n’ai pas suivi les péripéties qui ont conduit au choix de René Dumont comme candidat. J’ai participé à la campagne en le recevant en Alsace sur un dossier qui nous mobilisait : le canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Cette candidature est le point de départ de l’écologie politique au niveau national. On a oublié que le résultat se situa autour de 1% des suffrages.


D.B. : 1,32 % précisément.


A.W. : Au lendemain de cette candidature, les comités de soutien se réunirent à Montargis, début juillet 1974, pour créer le Mouvement Écologique. D’entrée de jeu, les anarchistes refusèrent cette création, et Brice Lalonde s’en éloignera assez rapidement. Le ME n’était pas un parti même s’il se considérait comme tel : ses membres étaient des groupes et des associations, qui considéraient le Mouvement comme une coordination au moment des élections. Le ME se mue en Coordination interrégionale des Mouvements écologistes, préfiguration d’un parti à structure fédéraliste, lors d’une réunion à Mulhouse en 1978. Il portera la liste Europe Écologie conduite par Solange Fernex en 1979. Le manque de moyen ne permet pas à cette liste d’avoir des circulaires et des bulletins de vote partout : elle obtiendra cependant 4,41 % des suffrages et rate de peu des élus.


D.B. : L’argent n’afflue guère vers l’écologie !


A.W. : Rappelons-le : Europe Écologie est alors la seule liste écologiste en Europe. Les Allemands, qui focaliseront plus tard l’attention, ne sont pas encore en lice. Par contre, les amis de Lalonde se disent qu’il faut investir l’écologie pour réussir. Lalonde est leur candidat et Cochet le metteur en scène.


D.B. : Donc Yves Cochet défend une candidature Lalonde à l’époque.


A.W. : Oui, ils sont tous deux au PSU à ce moment-là.


D.B. : Une gauche marginale et ouverte à la critique du productivisme.


A.W. : Ils nous convainquent d’organiser des primaires.


D.B. : Des primaires pour l’élection présidentielle de 1981 ?


A.W. : Oui. Nous y étions très opposés. Mais, Yves Cochet avait convoqué une assemblée, à laquelle nous avions accepté de participer avec une petite délégation. Cette assemblée réussit à imposer une primaire nationale dans laquelle verraient s’affronter notamment Philippe Lebreton, notre candidat, et Brice Lalonde, ainsi que quelques autres candidats moins significatifs.


D.B. : C’est drôle, je voulais justement te parler des liens avec Philippe Lebreton. Il y avait une sensibilité commune avec lui, non ?


A.W. : Oui, le professeur Molo Molo, antinucléaire et naturaliste, était le président des Verts Parti écologiste qui, au terme d’une succession de structures biodégradables affirmait enfin une vraie structure paritaire avec adhésions individuelles.


D.B. : Très connu pour la lutte antinucléaire, Philippe Lebreton.


A.W. : Il a participé à Diogène, s’est fortement engagé contre un projet de raffinerie de pétrole dans les Dombes et contre l’amputation du parc national de la Vanoise.


D.B. : J’aimerais que tu me parles de Pierre Fournier, proche de Philippe Lebreton. Est-ce que tu l’as connu ? Fournier a joué au début des années 1970 un rôle important dans la naissance de l’écologie politique et la sensibilisation de l’opinion.


A.W. : Je pense l’avoir croisé. C’était l’animateur du journal de la Gueule Ouverte.


D.B. : Et avant collaborateur Charlie Hebdo… comme Lebreton.


A.W. : La Gueule Ouverte avait une grande influence sur nombre de militants. Puis, avec la disparition prématurée de Fournier, les liens avec cette presse se sont distendus avec un basculement à Gauche et une incompréhension sur la revendication d’indépendance. Celle-ci ne se limite pas à une indépendance de structure, mais englobe une indépendance culturelle et philosophique. L’écologisme est une vision du monde qui n’est pas celle des matérialistes que sont les socialistes et les libéraux.


D.B. : Là tu prêches un convaincu bien sûr (rires) ! Mais, c’est intéressant parce qu’on redécouvre d’une certaine manière maintenant que c’était très clair pour vous.


A.W. : C’était très clair.


D.B. : Et ça a été foutu en l’air, c’est dingue : c’est 20 ans de perdus.


A.W. : Oui.


D.B. : Cette indépendance philosophique appuie le fait que l’écologisme n’est pas le productivisme de gauche et de droite, qu’il soit marxiste ou libéral.


A.W. : Pour reprendre l’histoire de cette élection, Philippe Lebreton sortit largement en tête au premier tour. De manière inattendue, Lalonde sortit du chapeau au second tour.


D.B. : Curieux.


A.W. : Nous avons appris par la suite que des militants PSU ont participé au vote, en votant deux fois au second tour, à Lyon puis à Paris. Cela a-t-il été suffisant pour déterminer le résultat ? Nous avions été assez naïfs pour ne pas songer à délimiter précisément le périmètre des votants. Je sais depuis cette aventure que les primaires ouvertes donnent toujours lieu à manipulations.


D.B. : Vive la démocratie !


A.W. : Nous avons finalement accepté de soutenir Lalonde et je dois reconnaître que ce fut un bon candidat. Il a réuni 3,88 % des suffrages. Mais, dès l’élection terminée, il a échappé au collectif, dans une démarche très personnelle, comme Nicolas Hulot.


D.B. : Nicolas Hulot n’est pas un homme de structure. Question de tempérament.


A.W. : Oui, Lalonde n’avait aucune envie d’animer un collectif et de se soumettre à la démocratie du groupe. Je reconnais d’ailleurs que d’essayer d’emmener un groupe demande beaucoup d’énergie et que ce n’est pas toujours facile, y compris chez les écologistes.


D.B. : Même chose pour Hulot.


A.W. : Le groupe de Cochet vise ensuite les élections européennes de 1984. Pour réussir, il ne doit y avoir qu’une seule liste écologiste. Aussi, fait-il notre siège pour nous convaincre de fusionner avec les Verts Confédération écologiste qu’il vient de créer avec des statuts copiés sur les nôtres (Vert Parti écologiste). Dominique Voynet vient à Mulhouse pour me convaincre. Le débat, long et difficile, porte sur la notion d’indépendance. C’est finalement le mot autonomie qui sera porté dans les statuts, mais chacun donnera à ce mot une traduction différente. La fusion se fait en janvier 1984. D’entrée de jeu, la composante Voynet-Cochet prend le pouvoir.


D.B. : Avec un apport de gens nouveaux quand même, qui viennent du PSU… qui n’étaient pas des écologistes-naturalistes, qui avaient un prisme plutôt social, au sens des luttes sociales.


A.W. : C’est finalement Didier Anger qui va conduire la liste. Didier est issu de la lutte contre le centre de retraitement des déchets nucléaires de La Hague.


D.B. : Un combat local, un peu comme Lebreton et sa raffinerie, des gens qui se construisent sur un combat local, écolos pour le coup.


A.W. : Le résultat est cette élection européenne a été modeste. Celui des élections législatives et régionales de 1986 a été globalement décevant, alors même qu’elles se déroulaient à la proportionnelle au seuil de 5%. Nous sommes trois élus régionaux : Didier Anger en Normandie, Andrée Buchman et moi-même en Alsace.


D.B. : Ce qui est déjà pas mal, trois élus à l’époque.


A.W. : Oui. Mais l’équipe Cochet Voynet ne le voit pas ainsi. Il faut dissoudre les Verts, se risque un militant. Cochet propose d’organiser les prochaines présidentielles avec l’extrême gauche, proposition qu’il rend publique. Des militants viennent alors me voir en me demandant de prendre la direction et de me porter candidat. Ma motion « L’écologie n’est pas à marier » l’emporte dès le premier tour avec plus de 60% des suffrages lors de l’assemblée générale de novembre 1986. C’est encore avec plus de 60% des suffrages que je suis désigné candidat à l’élection présidentielle à l’issue d’une succession d’assemblées générales régionales (un marathon de 13 samedis et dimanches avec vote à l’issue d’une présentation des candidats à la candidature au cours du deuxième trimestre de 1987).

L’équipe Anger-Voynet-Cochet cherchera presque jusqu’au bout à déstabiliser ma campagne électorale, espérant mon retrait et faisant la promotion de Pierre Juquin, ancien dirigeant du parti communiste. Ce n’est que dans les derniers jours qu’ils rallièrent ma candidature.


D.B. : Et il y avait aussi Jean-Paul Deléage que j’ai bien connu, et qui met en lumière la complexité des choses : impossible de lui reprocher une méconnaissance de la destruction de la nature.


A.W. : Oui. Il fut le directeur de campagne de Pierre Juquin. Il sera plus tard l’un des maîtres d’œuvre d’une trahison articulée avec le PS qui conduira au changement de majorité en 1993.

La campagne électorale fut une aventure, pleine de péripéties. J’ai été en déplacement pendant huit mois, avec une interruption à Noël, en train, avec ma valise à la main, accueilli en gare par les militants, logé chez eux, avec une obsession : dormir suffisamment la nuit, car les copains appréciaient les soirées longues. Je dois beaucoup à deux personnes, Jean-Louis Vidal et Guy Cambot.


D.B. : Tu peux les resituer l’un et l’autre ?


A.W. : Jean-Louis Vidal était mon directeur de campagne. Installé dans le petit local que nous avions près du parc Montsouris, qu’il ne quittait pas, il gérait le calendrier des déplacements, les passages dans les médias, imaginait les « coups » de com, que Jean-Luc Dumesnil contribuait à mettre en scène. Il avait été très engagé dans l’humanitaire. Son épouse était Arménienne. De tempérament anxieux, grand fumeur, il a été une victime indirecte des tensions qu’entretenait une trésorerie serrée et les tentatives de déstabilisation qui suivirent la campagne électorale. Il est mort d’un cancer en 1990. Guy Cambot avait été clerc de notaire dans les anciennes colonies. Revenu en France, il avait acheté une maison patrimoniale au cœur du centre historique d’Uzès, qu’il défendait contre le projet d’une multinationale du thermalisme. Il avait été élu secrétaire national des Verts à la suite de l’assemblée générale de 1986. Grand romantique et très cultivé, il avait une affection particulière pour les régionalistes corses, avec lesquels il établit une négociation déterminante pour l’obtention des parrainages. Il m’accompagna parfois dans mes déplacements. Après la campagne européenne de 1989, il déménagea dans l’ile de beauté à la suite d’une peine sentimentale : il y mourut d’ennui. Jean-Louis a été inhumé à Arles et Guy à Uzès.

Il fallait 500 parrainages, j’en eu 504 ! Et, à l’issue de cette campagne, en valeur absolue, j’ai amélioré un peu le résultat de Lalonde de 1981, avec un pourcentage inférieur de quelques

dixièmes.


D.B. : Donc tu es un peu en-dessous de 5%, c’est ça ?


A.W. : Oui, 1,2 millions de voix, 3,78 %. J’ai ensuite été tout naturellement désigné comme tête de liste aux européennes. Nous avons constitué une liste bâtie sur une hypothèse de 5 élus, en ayant trois représentants de la majorité et deux moins identifiés. Nous avons eu au final 10 élus et une parité des tendances, du moins au départ. Nous avions décidé de prendre les suivants comme attachés parlementaires et d’assurer la rotation à mi-mandat : au final, l’équilibre n’était plus assuré, à notre détriment. Les médias de Gauche favorisèrent la visibilité de Dominique Voynet. Or, un discours de Gauche suscitait des adhésions de gauche, tandis qu’un discours indépendant suscitait l’adhésion de partisans de l’indépendance. Ainsi, progressivement, la sociologie interne évoluait.


D.B. : Ah oui, elle était très médiatisée au départ


A.W. : C’était une volonté politique de la part du Monde et de Libération


D.B. : De défendre plutôt une personnalité proche du PS qu’un naturaliste, en d’autres termes


A.W. : L’objectif de l’équipe de Voynet était de reprendre la majorité au sein des Verts pour conclure un accord avec le PS et d’avoir des postes. A cette fin, ils ont mené un travail permanent de sape. Au parlement, j’ai assumé la présidence de la commission du développement régional et de l’aménagement du territoire. Ma satisfaction est d’avoir obtenu un vote unanime du Parlement sur un texte en faveur d’une maîtrise de l’occupation des sols, un texte qui inspira la directive européenne sur l’évaluation environnementale des plans d’urbanisme. Puis, bien qu’opposé à la mesure lors de son adoption par le conseil national, j’ai respecté la rotation en démissionnant du Parlement au 31 décembre 1991. J’ai été réélu conseiller régional d’Alsace en mars 1992. De leur côté, les Socialistes tentaient de me faire passer pour un homme de Droite sur le mode «puisqu’il n’est pas de Gauche, il est de Droite».


D.B. : Dans leur schéma binaire, ça va de soi.


A.W. : Les procès se sont enchaînés, je les ai gagnés, même contre le beau-frère de Mitterrand, qui m’avait traité de salaud au journal de 20 heures sur TF1. Pierre Juquin était venu plaider en ma faveur au procès.


D.B. : Les trajets individuels et les déplacements de posture sont intéressants.


A.W. : Au lendemain de l’élection présidentielle, Jean-Louis Vidal avait reçu un appel téléphonique qui nous mettait en garde contre un entrisme stratégique décidé par les soutiens de Juquin. Aussi, avons-nous beaucoup hésité lorsque Jean-Paul Deléage a demandé son adhésion aux Verts. Mais, que pouvions-nous faire ?


D.B. : Et donc ils vont s’associer avec Voynet Cochet ?


A.W. : Oui. Au lendemain de la présidentielle de 1988, François Mitterrand demande à Brice Lalonde d’entrer au gouvernement pour contrer la montée des Verts. Ce sera le duel Waechter-Lalonde mis en scène par les caricaturistes. En 1990, Lalonde met en place l’ADEME et propose à Yves Cochet d’en assumer la présidence. Yves Cochet accepte. Mes collègues demandent une exclusion pour ce qu’ils considèrent comme une traitrise. Je demande à mes amis de voter contre l’exclusion mise aux voix lors d’un Conseil national.


D.B. : Grand seigneur !


A.W. : Ou trop gentil et, au vu de l’histoire qui suivit, ce fut peut-être une erreur. Mais, je n’aime pas la violence des procédures d’exclusion. Répondant aux demandes du PS, Lalonde essayait ainsi de mettre une brèche dans les Verts.


D.B. : Il était au gouvernement !


A.W. : Nous étions alors mobilisés contre la participation de la France à la coalition en Irak. Nous avions été agressés par les dirigeants de la communauté juive pour cet engagement. Jean Brière, un militant lyonnais de la première heure avait signé une contribution aux travaux du Conseil national, dans laquelle il expliquait l’attitude générale des médias par la prééminence, dans les rédactions, des journalistes juifs, dont il avait fait le recensement. Ce texte a été transmis à Lalonde par une militante membre du Conseil national. Lalonde l’a fait diffuser auprès de la presse. Les associations antiracistes ont porté plainte contre Brière. Lalonde a exigé de Cochet l’exclusion de Brière, ce qu’il a obtenu. Et Lalonde n’a pas, pour autant, honoré sa promesse. Trois ans plus tard, à l’occasion d’un dîner, Brice me confia qu’il n’avait jamais eu l’intention de nommer Cochet et qu’il s’était servi de cette affaire pour se venger de Brière, qui lui avait intenté un procès 12 ans plus tôt pour une suspicion d’usage égoïste d’argent public.


D.B. : Oui, Cochet n’a jamais été président de l’ADEME. C’est une histoire qui n’est pas très connue. Brière s’était engagé sur un terrain malsain et dangereux. Est-ce qu’il y a eu d’autres affaires qui auraient pu justifier le portrait très négatif qui a été fait du personnage ?


A.W. : Jean Brière a gagné le procès qui lui a été intenté. Dominique Voynet était venu témoigné en sa faveur. Il a été blanchi. Je peux affirmer qu’il n’a rien d’un antisémite, rien de ce que certains ont voulu faire de lui, dans le but inavoué d’affaiblir les Verts. Jean a un tempérament éruptif qui lui a valu beaucoup d’inimitié, mais c’est quelqu’un de sensible qui ne supporte pas l’injustice, notamment celle faite aux Palestiniens.


D.B. : Continuons l’histoire.


A.W. : Après les élections régionales de 1992, au cours desquelles Génération Écologie, le parti de Lalonde, n’a pas rempli pas la mission que lui a confiée le PS, Brice quitte le gouvernement, se fâche avec les Socialistes, ces derniers se trouvant dès lors orphelins d’un appui écologiste. Les attaques contre les Verts cessent et Bartolone prend contact. Il me propose d’entrer au Gouvernement comme ministre de l’aménagement du territoire. Plusieurs rencontres vont avoir lieu. Je donne mes conditions : arrêt des essais nucléaires de Mururoa, non redémarrage du super-générateur de Creys Malville, désignation d’un ministre de l’environnement issu du sérail pour être certain qu’il aura du poids au sein de l’équipe gouvernementale. Lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement, Pierre Bérégovoy s’engage sur les deux premiers points et nous demande de désigner la personne souhaitée. Nous nommons Ségolène Royal. Dans ce contexte, je soumets au Conseil national la proposition d’entrer au Gouvernement : toute l’équipe de Voynet vote contre, ne souhaitant pas que je lui « grille la politesse » et certains de mon entourage s’abstiennent. La proposition est rejetée, de peu, et j’en accepte le résultat. Après coup, j’ai regretté de ne pas avoir répondu positivement à Pierre Bérégovoy alors que lui avait respecté le contrat. Les années suivantes, Voynet, Cochet, Cosse et quelques autres n’auront pas la délicatesse de soumettre aux instances du parti leur entrée au gouvernement.


D.B. : Quelle élégance !


A.W. : 1993 est une année charnière. Nous abordons les élections législatives en faisant cause commune avec Génération Écologie. Nous enregistrons de bons résultats, sans doute les meilleurs de l’histoire indépendante des Verts, c’est-à-dire sans accord avec le PS ou d’autres formations situées hors du périmètre écologique. Jean-Paul Deléage demande à participer à notre équipe. Andrée Buchmann se fait son avocate. Longue hésitation, puis accord. Mais, sitôt les élections passées, il tourne casaque, rejoint l’opposition, convainc Andrée Buchmann de faire sa propre motion à l’assemblée générale de novembre, à Lille. Nos partisans s’y sont trompés. Les voix se dispersent. Nous perdons la majorité (qui est de 60% selon les statuts). L’ambition des deux femmes, Voynet – Buchmann, aboutit le jour même à un clash. Andrée Buchmann fera la campagne de Lionel Jospin pour la présidentielle de 1995 ! Dès le lendemain de l’AG, Voynet signe un contrat avec Jospin en vue d’un accord pour les prochaines élections. Elle est mise en minorité par une motion de censure au Conseil national, mais n’en tient aucun compte. Dans les régions, en Aquitaine, en Alsace, en PACA… les partisans de Voynet engagent des procédures d’exclusion contre mes amis. La situation gagne en violence. Une journaliste me demande « Avez-vous conscience d’avoir des tueurs en face de vous ?». Nous n’avons plus aucune énergie pour mener des actions positives vers l’extérieur : tout est investi dans les luttes de pouvoir interne. Les Verts sont-ils encore utiles ?


D.B. : Avec le recul du temps, force est de constater qu’ils n’ont eu guère d’utilité : quelques avancées sur des dossiers ponctuels comme tout bon ministre de l’environnement peut en arracher, mais pas un infléchissement général des politiques publiques. Et c’est de là que commence la dérive qui va finir avec l’arrivée d' »écologistes » à LREM. La logique d’appareil, que tous les sociologues des organisations connaissent, est typique : au début, une organisation a un but externe, produire un changement dans la société, et au final elle devient à elle-même son propre but.


A.W. : En 1994, nous votons pour Marianne Issler Béguin à la tête de la liste européenne. Par mesure de rétorsion, Yves Cochet obtient de ses collègues de faire une liste monocolore composée de ses seuls partisans. La coupe déborde. Nous nous réunissons en Sologne en juin 1994 : à l’issue d’une longue discussion, la centaine de participants choisit entre plusieurs hypothèses la scission d’avec les Verts. Une petite équipe se retrouve dans les Alpes suisses (Kandersteg), à 1800 mètres d’altitude, pour élaborer un projet de statuts. Une assemblée constituante réunie à Châtelguyon (Auvergne) le 4 septembre 1994 vote la naissance du Mouvement Écologiste Indépendant. Au retour, je trouve une lettre d’exclusion signée par Cochet plusieurs jours avant notre rencontre de Châtelguyon !

En 1995, je suis candidat à l’élection présidentielle. Voynet appelle publiquement les élus à ne pas me parrainer. Je réunis 480 parrainages. Voynet est seule candidate.


D.B. : Elle fait 2% ?


A.W. : Les élections présidentielles inabouties nous ont laissé une dette, mais les élections inattendues de 1997 ont permis de la résorber grâce au financement public déclenché par nos candidats aux législatives. Le dernier évènement significatif se produit à l’occasion des élections européennes de 1999. Cherchant des moyens pour cette campagne, nous proposons à Teddy Goldsmith de prendre la tête de la liste et aux médecins homéopathes de construire la liste avec nous. Entre temps, j’ai été invité, et j’ai accepté, de faire une conférence sur Robert Hainard dans le cadre d’un séminaire associatif à Paris. Quinze jours plus tôt, une journaliste d’Antenne 2 téléphone à un de nos responsables : « Attention, il se prépare un mauvais coup. En réunion de rédaction, il a été proposé qu’un « journaliste » participe à la rencontre et se mêle au public avec une caméra en posant la question : qu’est-ce que cela vous fait d’être dans une réunion d’extrême-droite ? » Informé, j’écris de suite au CSA, qui répond que cela ne le concerne pas. Lorsque le « journaliste » prend contact avec moi, je lui dit que j’ai été informé de son projet et que je refuse de le voir. Je demande aux organisateurs de la rencontre de refuser l’accès de la salle au cameramen. Ma conférence terminée, je pars par une porte dérobée. A la sortie, c’est Teddy Goldsmith qui se fait accrocher et sera présenté, au journal de 20 h, comme un soutien d’extrême droite. La réaction des participants impose l’intervention du médiateur du service public, mais la chaîne refuse ma présence sur le plateau. Au journal de 13 h, Serge Latouche et deux autres conférenciers réfutent les accusations. Mais, de leur côté, Le Monde et Libération relatent les accusations. Teddy Goldsmith renonce à être sur la liste.


D.B. : Incroyable !


A.W. : C’est Dallas au réel. Le directeur de l’information d’Antenne 2 était alors un communiste. Parallèlement, les homéopathes organisent un référendum pour valider leur soutien à la liste. C’est alors que parait dans le journal gratuit des médecins un article intitulé « j’accuse Antoine Waechter de complaisance avec l’extrême droite », rédigé par une personne n’appartenant pas à la rédaction habituelle du mensuel. Après s’être excusé de ne pas avoir été assez vigilant, le directeur de la publication me propose deux pages de réponse. Les homéopathes ne renonceront pas et la liste « Écologie, le choix de la vie » sera présente. Elle ne réunira que 1,52 % des suffrages (12e sur 20 listes). Cela m’a définitivement rendu suspect l’information par les médias publics.


D.B. : C’est toujours la confrontation avec l’équipe Voynet Cochet


A.W. : En 2003, suite à nos démarches, Gilles Lemaire, secrétaire national des Verts, m’invite aux journées d’été de Marseille. Il est le premier à oser rompre la glace entre les deux partis. Mais, cela restera sans lendemain, la majorité voynetiste du Conseil national des Verts refusant tout accord. En 2009, Cécile Duflot accepte de nous associer aux réunions préalables à la construction de la liste européenne… pour finalement ne laisser aucune place au MEI. Les listes que nous constituons alors en réponse dans toutes les eurorégions avec Génération Ecologie et La France en Action seront toutes créditées de plus de 3% des suffrages. Des accords de partenariat seront conclus en Alsace et dans le Nord-Pas-de-Calais aux régionales de 2010, aux sénatoriales de 2013 dans le Haut-Rhin, aux régionales d’Alsace en 2015. Nous acceptons de soutenir Eva Joly aux présidentielles de 2012 après avoir participé aux primaires, mais les Verts ne respectent pas le contrat aux élections législatives qui suivent, refusent de s’accorder aux élections législatives de 2017 puis aux européennes de 2019.


D.B. : Le positionnement d’indépendance que vous défendiez depuis le début a été combattu avec une espèce de hargne liée à l’imaginaire d’union de la gauche. Comment expliques-tu la difficulté de faire exister quelque chose à côté des Verts. Pour les gens qui n’y regarde pas de près, «écologie = les Verts ». La liste Urgence écologie de 2019 l’a à son tour démontré. Rappelons que marquer son indépendance dans un premier temps n’exclut nullement ensuite la coopération.


A.W. : En 2009, la liste que je conduisais a réuni 52 voix dans mon village. En 2014, associé aux Verts, j’obtiens 45 voix. Les électeurs sont dans une grande confusion. En 2019, la liste Urgence Écologie était partie pour faire 6 % des suffrages. Au dernier moment, dans les trois jours qui ont précédé le scrutin, la moitié de nos électeurs, qui n’ont pas fait la différence entre les deux listes, ont basculé en faveur du vote « utile » pensant que nous n’aurions pas d’élu.


D.B. : Qu’on me permette de rappeler mon éphémère participation à la vie politique au sens électoral du terme avec la liste Urgence écologie (2019). Beaucoup de gens m’ont dit : « C’est très bien ce que vous dites, mais vous n’aurez pas d’élus et notre voix ne servira à rien ! »


A.W. : Notre dynamique a mobilisé des électeurs, qui, au final, ont contribué au résultat des Verts. L’ostracisme médiatique à notre égard a beaucoup joué.


D.B. : Comment vois-tu l’avenir des mouvements écologistes en France ?


A.W. : Pour fidéliser un électorat, nous devons réussir à faire comprendre que l’écologisme ce n’est ni le socialisme, ni le libéralisme. L’écologisme a une identité politique à part entière ; le nouveau clivage est entre nous et les matérialistes.


D.B. : Entre les productivistes-consuméristes d’un côté, et ceux qui appellent à une nouvelle civilisation de l’autre.


A.W. : Tant que nous n’aurons pas réussi cette compréhension, notre électorat restera volatile.


D.B. : L’écologie s’est imposée comme référentiel : plus personne ne peut se permettre d’avancer devant ses électeurs sans dire « Moi je prends en charge les questions écologiques ». Mais, comment les gens peuvent-ils se rendre compte des mensonges qui sont ainsi véhiculés ?


A.W. : Il nous faut être présents sur les réseaux sociaux et dans la presse régionale. Malheureusement, cette dernière a de moins en moins de lecteurs.


D.B. : Les jeunes ne lisent plus du tout la presse.


A.W. : Il faudrait peut-être investir … ah, un milan noir qui vole là-bas … (pause d’observation)… Il faudrait peut-être investir les manifestations de jeunes ? Mais, elles n’appuient aucune proposition.


D.B. : Les manifestations-climat que la crise Covid a interrompues sont d’abord l’expression d’un cri existentiel, d’où la nécessité de corréler ça à quelque chose de plus politique. Attention toutefois, un mouvement comme la Grève du climat en Suisse avance des propositions politiques précises.


A.W. : Nous pouvons introduire des propositions concrètes. Le rapport de force se fera malgré tout aux élections. Je ne vois pas comment sortir de cette situation si c’est l’équipe de Macron qui continue à gouverner.


D.B. : On s’y enfonce avec un cynisme absolu. La partie de la jeunesse qui se mobilise, statistiquement minoritaire, n’a pas d’illusions du côté des pouvoirs, un petit peu plus en Suisse, mais en France pas du tout, je pense. L’enquête publiée mi-septembre 2021 par The Lancet permet de nuancer ce tableau. Il s’agit d’une enquête sur la jeunesse mondiale – 10’000 jeunes de 16 à 25 ans de 10 pays dont l’Inde, le Brésil, le Nigeria et les Philippines – révélant un fond de désespoir probablement jamais connu dans l’histoire de notre espèce baroque (Le Monde, 14 septembre). Trois quarts de la jeunesse mondiale se déclarent en effet « effrayés » par l’avenir – en pointant nommément les enjeux écologiques et en premier lieu climatiques : 39% hésitent à procréer, 56 % redoutent la disparition du genre humain, etc. Une révélation choc tant par son universalisme géographique que par son extension à une classe d’âge, alors qu’on avait plutôt tendance à penser, notamment en Europe, que la conscience des enjeux écologiques diminuait avec le niveau de formation, à l’instar des mobilisations climatiques.

Je propose une petite fresque des différents présidents. Commençons par Pompidou. C’est sous sa présidence qu’est créé, en octobre 1971, le premier ministère de l’environnement, huit mois avant le sommet de Stockholm. A Chicago, Pompidou parle d’« éthique environnementale » ; qui connaît cette expression dans la France de l’époque ? Dans un discours présidentiel de vœux à la Nation, en 1971 ou 1972, Pompidou dit que les questions environnementales seront sans doute les questions dominantes à la fin du siècle. C’est quand même pas mal.


A.W. : Il écrit à son premier ministre pour dire que trop d’arbres sont coupés au bord des routes. Il demande que les arbres soient respectés.


D.B. : C’est un épisode que je ne connaissais pas, c’est intéressant. Giscard d’Estaing arrive au pouvoir en 1974 et fait adopter la première grande loi structurelle sur la protection de la nature en 1976. Que peut-on dire de Giscard ?


A.W. : Rappelons tout d’abord que, quand il était ministre de l’économie, il a été le seul à avoir fait la promotion du rapport Meadows.


D.B. : Oui, je ne me souvenais plus du tout de cela.


A.W. : Il a été agressé de tous bords. Le Parti Communiste a été le plus virulent, mais aussi le RPR. Cela ne vas l’empêcher d’être élu président. Giscard a été le président de la Ve République le plus sensible aux paysages et au cadre de vie : il édicte une directive pour protéger la montagne, une autre pour protéger le littoral, crée le Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, donne un pouvoir supplémentaire aux commissions départementales des sites et paysages, crée un organisme régional chargé de valider les projets architecturaux des bâtiments public, ainsi que l’Institut français d’architecture, un centre de recherche mais aussi de formation et d’innovation. L’architecture doit rechercher l’insertion dans le paysage urbain ; elle doit être durable, à la fois par son ancrage dans l’histoire de la cité et par la protection des milieux naturels en ville. Dans une lettre à Jacques Chirac, son premier ministre, il évoque le vote d’une réforme de l’urbanisme pour protéger la nature et lutter contre l’enlaidissement de la France. Il veut ralentir l’étalement urbain et la construction de trop hautes tours, d’où une directive anti-tours et une directive anti-barres. Il a refusé la construction d’un centre commercial aux Halles au bénéfice de grands espaces verts, ainsi que le projet de nouvelle voie rapide sur les quais de Seine, rive gauche, à Paris.

Malheureusement, comme cela se produit parfois dans l’Histoire, alors qu’il aurait dû avoir le soutien de l’électorat écologiste, ce dernier va se porter sur François Mitterrand à cause de Creys-Malville et du Larzac, et plus largement du programme nucléaire. Terrible contre-sens.

Mitterrand, élu en 1981, abroge une partie des dispositions giscardiennes, transforme les directives montagne et littoral en lois, affaiblissant au passage le dispositif. La disparition de la tutelle préfectorale sur les maires est accompagnée d’une procédure garde-fou, qui ne fonctionnera pas. Le Larzac est certes abandonné, mais ni le programme nucléaire, ni Creys-Malville. Aucune des 100 promesses ne sera tenue.

Le deuxième septennat (1988 – 1995) de Mitterrand change de visage avec la montée des Verts et la compétition Lalonde-Waechter mise en scène par les médias. Lalonde a alors tous les pouvoirs pour montrer que le gouvernement socialiste est le meilleur écologiste. Les lois sur l’eau, sur les installations classées pour l’environnement, sur le bruit, sur l’air… sont passées sous Mitterrand et signées par Lalonde. L’accord de Marckolsheim qui protège l’ensemble des forêts rhénanes et met un terme définitif aux éventuelles spéculations sur leur avenir me tient particulièrement à cœur : c’est aussi de cette époque.


D.B. : Oui, les deux grands moments législatifs, c’est Giscard et ensuite c’est Lalonde-Rocard.


A.W. : Avec Chirac (1995 – 2007), il ne se passe pas grand-chose, hormis la loi SRAU (2000) qui est une loi de cohabitation avec les Socialistes. Et puis, le discours…


D.B. : J’ai vu çà de près parce que j’ai été dans le petit nombre, par Hulot, qui a rédigé les discours de campagne de Chirac, la campagne de 2002 pour l’élection présidentielle ; après, je me suis retrouvé dans la commission Coppens. C’est Hulot qui a convaincu Chirac des questions environnementales et Chirac, contrairement à l’image qu’il a forgée lui-même, était un homme de grande culture. Il s’est passionné pour les sujets écologiques et a fini par acquérir des compétences réelles. Sur la question du climat et du vivant, il était assez bluffant. Mais, oui, il n’a fait qu’une seule chose : sa charte, au cours de son deuxième mandat et rien au cours de son premier mandat.


A.W. : Il faut mettre le Grenelle de l’environnement et la désignation de Borloo comme ministre d’État au crédit de Nicolas Sarkozy. Malheureusement, l’opérationnalité des lois Grenelle s’avère faible. Au positif, je retiendrai principalement les schémas régionaux de cohérence écologique destinés à garantir la perméabilité des territoires aux flux biologiques. Au négatif, l’absence de toute préoccupation paysagère. Et pour aggraver la situation, la disposition codifiée à l’article L.111-16 du code de l’urbanisme, qui en substance dit qu’il est interdit d’interdire certaines mesures réglementant l’aspect des constructions. Cette disposition, qui a fait droit aux influences de groupes de pression catégoriels, affaiblit le cœur des documents d’urbanisme et se révèle catastrophique dans des régions comme l’Alsace.


D.B. : Cela dit quand même, le processus du Grenelle avec ses cinq acteurs, ce n’est pas inintéressant.


A.W. : Oui


D.B. : Mais, en même temps, le fragmentation du monde associatif et des partenaires se retrouve dans le résultat : une myriade de petites propositions. J’ai vice présidé une commission, puis un comité sur l’économie de fonctionnalité : quand tu réunis des associations et le ministère, chacun va essayer de passer un petit bout de ce qu’il veut, avec pour résultat quelques chose de peu structuré. La seule mesure vraiment structurante était la taxe carbone : Ségolène Royal l’a plombée.

Passons maintenant à Macron.


A.W. : La suite c’est Hollande


D.B. : Désolé, je l’oubliais ! Ma désillusion vis-à-vis des COP peut-être … et Hollande est associé à la COP21.


A.W. : Il y a deux séquences dans le mandat de Hollande. Dans la seconde, il bascule dans le libéralisme


D.B. : Oui, le néolibéralisme le plus pur.


A.W. : Cécile Duflot était alors ministre de l’égalité des territoires et elle préparait une loi sur le logement, qui comportait des aspects liés à l’urbanisme et à l’artificialisation des sols. J’ai rendu visite à son ministère pour obtenir un élargissement de l’intérêt à agir des citoyens devant la juridiction administrative. Un citoyen qui veut défendre son village ne peut pas : il est considéré comme n’ayant pas d’intérêt à agir : il est systématiquement débouté lorsque la construction contestée n’est pas directement voisine de sa maison. Réponse : « d’accord, mais l’arbitrage interministériel nous sera défavorable ».


D.B. : C’est systématique avec l’environnement.


A.W. : Hollande a signé deux ordonnances en 2014 : l’une restreignant encore un peu plus l’intérêt à agir du citoyen, l’autre permettant au promoteur attaqué de demander des dommages et intérêts. Le motif assumé : sécuriser la promotion immobilière.


D.B. : C’est totalement dissuasif !


A.W. : Le tribunal administratif de Lyon, en vertu de cette ordonnance, a condamné un groupe de citoyens à payer 82’000 € à un promoteur. Or, la menace contentieuse est un élément essentiel dans la régulation des comportements en urbanisme. Bien sûr, les associations échappent à cette règle, mais elles doivent exister un an avant de dépôt du recours, sachant qu’un permis n’est attaquable que deux mois après sa validation.

Avec Emmanuel Macron, le phénomène de dérégulation s’est accéléré, à raison d’une mesure par trimestre. La convention d’Aarhus, sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice environnementale, signée le 25 juin 1998 par 39 États, dont la France, est bafouée. Le citoyen est écarté et les pouvoirs des agents de l’Etat sont diminués. Le Préfet est autorisé à déroger à toutes les règles qui relèvent de la compétence de l’Etat dans le département. Des installations classées pour l’environnement ne sont plus soumises à enquête publique. Le plus scandaleux concerne le déploiement des éoliennes : le pouvoir de s’opposer a été enlevé au maire, les recours doivent être déposés directement à la juridiction d’appel (c’est plus loin, plus coûteux, plus long…).


D.B. : La loi ELAN a rouvert le bétonnage du littoral…


A.W. : Avec Macron, le code de l’environnement recule de 40 ans, et le code de l’urbanisme perd de sa substance. Le citoyen est empêché de défendre son cadre de vie devant les tribunaux ou devant un commissaire enquêteur…


D.B. : Quels sont les changements introduits par Macron en matière d’enquêtes publiques ?


A.W. : Les seuils de déclenchement d’une enquête publique ont été modifiés dans la nomenclature des études d’impact de sorte que de nombreux projets autrefois soumis à l’avis du public avec commissaire enquêteur ne le sont plus. De nombreuses consultations se font par voie numérique sur un site de la Préfecture, mais aucune publication dans la presse ne vient signaler l’existence de ces consultations. Il faut alors que l’information parvienne de manière fortuite à un élément sensible du corps social pour qu’une mobilisation publique soit organisée, souvent avec l’aide d’une association sollicitée.


D.B. : De manière générale, c’est un grignotage de toutes les possibilités de recours par les citoyens et les associations de défense environnementale.


A.W. : Oui. Certaines de ces évolutions sont habillées de la formule «choc de simplification ». Je désigne cette situation sous le terme de « dictature libérale » dans laquelle les agents économiques gouvernent après avoir déconnecté le citoyen, affaibli les services de l’État, rendu inaccessible la justice administrative… Certains lobbys influencent les politiques de l’Elysée. Cette dictature est aussi celle du silence : les médias nationaux, notamment audio-visuels, n’évoquent plus les sujets délicats pour le pouvoir. Or, un sujet dont on ne parle pas n’existe pas. Heureusement qu’il y a les réseaux sociaux, mais cela ne touchent qu’une fraction de la population, et l’on voit déjà poindre la censure.


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